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Historique


Bien situé près du rebord du plateau, au dessus du profond vallon de Mouflers, le château de Vauchelles-les-Domart constitue l’une des plus remarquables expressions de ce que l’on désigne communément comme le style « brique et pierre ».

Cadet d’une famille originaire de Brucamps, Antoine de Blottefière acquit en 1595 le fief de Vauchelles-sous-Ailly. Gouverneur de la ville et du château de Doullens, il eut deux fils de son mariage avec Marie de Montjean : Henri, l’aîné, se fixa à Morlancourt, en Santerre (1), tandis que François, le cadet, héritait de Vauchelles. Capitaine d’infanterie au régiment de Picquigny, puis lieutenant du Roi en Picardie et vicomte de Domart, François de Blottefière épousa en 1629 Angélique de Cambray dont il n’eut pas d’enfants, puis en 1644 Madeleine de Lancry, dame de Bains (2). Il s’intéressa à son domaine de Vauchelles – qu’il agrandit en 1670 de celui de Mouflers (3) – et c’est à lui que l’on attribue la construction du château, vraisemblablement entreprise au lendemain de l’invasion espagnole de 1636.

Il s’agissait d’une demeure de dimensions relativement modestes, mais qui tranchait avec celles du voisinage par la qualité de sa mise en œuvre et par son parti architectural, directement inspiré des grands châteaux de l’époque (4). Le corps principal s’organise ainsi autour d’un haut et étroit pavillon, orné de quatre frontons superposés, l’un curieusement trilobé et accompagné de boules, un autre brisé et orné d’une pierre sculptée. De part et d’autre, des ailes basses prolongent la composition jusqu’à des pignons latéraux (5).
Extrêment soignées, les maçonneries sont faites de briques sur lesquelles se détachent des chaînes et des jambes de pierre en saillie, harpées et appareillées en vigoureux refends. Cette remarquable facture ne se limite pas aux façades du corps d’habitation, elle s’étend aussi à celle du long corps de dépendances – ancienne écurie – qui borde la cour, sur la gauche, et au mur qui la précède, décoré de hautes jambes de pierre taillées en bossages chanfreinés.

Le corps de logis se distingue cependant par la prééminence donnée aux lignes verticales, et la présence de niches ovales, privées de leurs bustes, mais entourées de motifs traités à la manière des cuirs découpés.

César de Blottefière, le fils du constructeur, est lieutenant au régiment du Roi, avant d’obtenir en survivance la charge de lieutenant du Roi en Picardie. Il contacte une fort belle alliance avec Gabrielle Gouffier, la fille du marquis d’Heilly (6), et est inhumé en 1719 en sa terre de Vauchelles dont il a obtenu l’érection en marquisat.
Cette même année, Nicolas, son fils, épouse Marie-Louise de Rouvroy. Colonel au régiment de Toulouse, puis lieutenant du Roi en Picardie en 1725, il épouse en secondes noces Mlle Le Gendre, et meurt âgé en 1771 (7), après son fils Charles. Dès 1756, il a fait don des seigneuries de Vauchelles et de Mouflers (8) à sa fille Marguerite qui, l’année précédente, a épousé le marquis du Sauzay, seigneur de Rebé et de Jarnosse en Mâconnais, futur lieutenant général des Armées du Roi, gouverneur de Landrecies, major du régiment des Gardes françaises et grand-croix de Saint-Louis.
Marguerite du Sauzay mourra guillotinée à Paris avec sa fille, la marquise d’Aloigny (9), et les papiers saisis à son domicile, rue de Richelieu, permettent de suivre les importants travaux menés à Vauchelles pendant plus de vingt ans, dans le but d’affranchir la cour d’honneur des services et des activités agricoles, transférés dans de nouveaux bâtiments élevés à l’Est, autour d’une basse cour :


En 1767, on achève les combles à la Mansart des pavillons ajoutés en retour sur la cour d’honneur, de part et d’autre du corps du logis, pavillon du jardin devant la chapelle qui prolonge l’aile Ouest, pavillon de la basse-cour reliant le château aux dépendances.
En 1770, on répare le mur qui précède la cour d’honneur, et on pose une nouvelle grille.
En 1775, le sieur Bordeux, masson à Flixecourt, réalise le bâtiment neuf, ou bâtiment de la basse-cour, belle et imposante construction brique et pierre dont la partie centrale est à usage de grange, et les extrémités de pressoir, d’écurie et de sellerie.
En 1781, on prolonge l’ancien corps de dépendances qui borde la cour d’honneur, de trois travées d’une facture rigoureusement identique à celles qui remontent qui remontent au milieu du XVIIe siècle. L’ensemble abrite désormais la cuisine, l’office et le logement du receveur-feudiste. Au dos, du côté de la basse cour et du puits, Bordeux doit reprendre entièrement les maçonneries en craie taillée.
En 1781-1782, on ajoute sur la cour d’honneur deux petits corps de dépendances se faisant face, décorés d’une sorte de frise formée de briques et de creaux de pierre alternés.
Dans les années 1785 enfin, on aménage dans le château une salle à manger, du côté de la nouvelle cuisine, et on pose une boiserie dans le salon (10).


Placés sous scellés, privés d’entretien et exposés au vandalisme habituel, les bâtiments doivent être en fort mauvais état lorsqu’en 1815 (11), ils sont attribués en partage à Henri, marquis du Sauzay. Ancien colonel, chevalier de Saint-Louis, ce dernier meurt en 1842 (12), à Vauchelles où son épouse, née Henriette des Essars (13), s’éteint à son tour en 1863. Leur fille unique, la comtesse de Gomer, n’a pas de postérité (14). Elle laisse Vauchelles à sa filleule, la comtesse de Saint-Sauveur, née Agathe des Essars, qui fait restaurer certains éléments dans les dernières années du XIXe siècle :

Le couronnement du mur d’entrée, avec le cintre du portail
Les pavillons de garde
Les lucarnes de l’aile de dépendances…


Occupé par l’organisation Todt, privé de son mobilier et de ses archives, le château a été remis en état par la baronne Charles-Henri de Lassus Saint-Geniès, petite fille d’Agathe des Essars, qui lui a redonné vie et en poursuit la mise en valeur.


A l’exception d’une fort belle pièce Louis XV boisée, à l’étage du pavillon central, le corps d’habitation n’a pas conservé de vestiges notables de décoration antérieure au XIXe siècle. Dans l’aile droite, deux salons ont reçu sous Napoléon III un décor riche et coloré, dans les tonalités sombres alors en honneur.
Quant à l’église voisine, elle porte les armes de Mme de Gomer, qui en a achevé la construction peu avant sa mort en 1881, et l’a léguée à la commune (15).


Belleval, Nobiliaire, op. cit., p. 182
Belleval, Fiefs, p. 323
Archives privées, famille de Gomer
J. Thiébaut, op. Cit., p. 303-304


(1). Son fils Antoine mourut sans postérité, et la terre de Morlancourt revint à la branche cadette de Vauchelles.
(2). Voir ce nom, dans Gentilhommières des Pays de l’Oise, à paraître
(3). Vendu par Charlotte de Chéry, (Belleval, Fiefs, op.cit.,p.235).
(4). Comme ceux de Saint-Loup-sur-Thouet, du Mesnil-Voisin, de Cheverny (voir Châteaux et Manoirs du Blésois), et d’Estissac (voir Châteaux et Manoirs de Champagne).
(5). L’ordonnance initiale a subi quelques modifications : les lucarnes ont disparu, les fenêtres ont toutes été agrandies en hauteur, et celles du rez-de-chaussée également en largeur ; il est vraisemblable, par ailleurs, que les grands combles latéraux ne venaient s’appuyer sur les côtés du pavillon central.
(6). Père Anselme, op.cit., Tome V p.624. Son beau-frère, Charles-Antoine Gouffier, épousa la fille du duc de Luynes (Voir Heilly).
(7). Alexandre de Blottefière et Nicolas, marquis de Vauchelles, son frère, héritèrent en 1731 de leur grande tante, Mme de Lingendes, morte à l’âge de 106 ans, les belles terres d’Essoyes et de Verpillières, en Champagne. Alexandre de Blottefière alla demeurer ordinairement au château de Verpillières (Voir Verpillières dans Gentilhommières et Maisons fortes en Champagne, Tome II, à paraître).
(8). Plus exactement des 4/5e desdites seigneuries (Amiens, Arch.Dles, B137).
(9). Héritier de terres à Vauchelles, son fils, le marquis d’Aloigny, chef d’escadrons de la Garde Royale, les céda à son cousin du Sauzay.
(10). Paris, Arch. Nles, T 371/2 et 3. Comptes et correspondances adressés par les receveurs de Vauchelles au marquis du Sauzay, avec un inventaire du mobilier du château en 1780.
(11). Me Lesur, notaire à Amiens, le 1er mai 1815.
(12). Inventaire dressé par Me Soyer, notaire à Amiens, le 3 octobre 1842.
(13). Voir Francières.
(14). Testament et inventaire après décès, Me Jarry, notaire à Amiens, le 25 octobre 1881. Pour le comte de Gomer, voir Courcelles, à Courcelles-sur-Moyencourt.
(15). Je lègue à la commune de Vauchelles l’église que je fais bâtir (Codicille daté du 27 juillet 1877).